1.1.06

François Teyssandier



Le chien qui a perdu la vue

- Qu’est-ce que vous voulez ? demanda la femme d’une voix grêle.
- Je viens juste vous rendre une visite, répondis-je en rougissant.
- Ah ? - Une simple visite de courtoisie…
- De courtoisie ?
- Voilà ! m’exclamai-je sottement, ne trouvant rien à dire de plus.
- Il est un peu tôt, non ? répliqua la femme en ouvrant davantage la porte.
- Je suis venu par le premier train, balbutiai-je… Comme si ce fait, en soi, était une circonstance atténuante, et excusait le dérangement que semblait avoir provoqué ma venue un peu trop matinale.
- Vous avez bien du courage ! s’écria la femme, d’un ton à la fois admiratif et réprobateur.
- En effet, mais je ne conduis pas…
- Vous n’avez pas de voiture ?
- Je n’ai surtout pas le permis !
- Oh, ça n’empêche pas de conduire…
- Non, bien sûr, mais c’est un peu risqué…
- Les trains sont épouvantablement lents, n’est-ce pas ? rétorqua la femme d’une voix triste, comme si elle se parlait à elle-même.
- J’ai pu le constater, en effet…
- En plus, ils n’arrivent jamais à l’heure !
- C’est parce qu’ils partent souvent en retard…
- Et ils sont sales, affreusement sales, vous ne trouvez pas ?
- Sales et inconfortables, c’est vrai, concédai-je pour lui faire plaisir.
- Et je ne parle pas, bien sûr, des répugnantes odeurs de pieds et d’aisselles qui imprègnent les wagons. A croire que les gens qui voyagent ne se lavent jamais !
- Ils le font peut-être exprès pour avoir davantage de place !
- Mais le plus désagréable, voyez-vous monsieur, c’est quand ils sortent sur le coup de midi leurs abominables sandwichs !
- En effet… - C’est à vous couper l’appétit !



L'auteur par himself