1.1.06

Julien Thèves



Histoire de la caméra et moi

Tu m’as filmé.
Hier.
Je bouchais les trous moi du chantier Bouygues. Tu m’as filmé et t’es parti, j’espère que je pourrai voir le film. Tu as dit que tu m’inviterais.
C’est quand, la projection ?
J’ai hâte.
Tu m’as filmé, un jeune ouvrier qui bouge bien dans un chantier avec au fond un paysage de cheminées, du soleil. Ca t’a plu ? T’es content ? T’es resté 5 minutes devant moi avec ta caméra et moi je travaillais, je pensais, qu’est ce qui faut pas faire maintenant, en plus de boucher les trous. En plus on se fait filmer…
Il paraît que t’es dans une école de cinéma ?
Je t’ai trouvé sympa, quand je t’ai vu.
J’ai travaillé et tu m’as filmé, ça a pas duré longtemps, mais j’ai pensé à faire attention on sait jamais – des fois que le film passe à la télé ou qu’on me remarque. Tu m’as choisi parce que je travaille bien.
J’en suis sûr.
On me dit aussi que je suis beau.
Je sais.
On s’est pas revus.
J’attends.
J’attends que tu m’appelles, pour la projection t’as dit, ce sera bientôt, « je vous inviterai », avec un sourire.
T’es venu avec le chef ce jour là, un de ceux qu’on voit pas souvent, j’ai pas pu refuser. J’ai préféré me plier, obéir au truc qui font que les mecs en costume viennent nous voir un peu comme des bêtes sauvages ici, même quand ils nous serrent la main, et ils détournent les yeux. Ils viennent nous voir travailler et si le chantier avance. Des fois ils nous appellent par nos prénoms. Nous on dit Monsieur, oui Monsieur, merci.

2 Comments:

Blogger Unknown said...

Bonjour,
je ne suis peut-être pas le genre de lecteur auquel vous vous attendez.
Je suis thésard en socio, dans ma thèse à venir, il s'agit de précarité, et je suis tombé à la BNF sur votre recueil de 1999. Comme les usages non sociologiques de l'expression "précarité" m'intéressent, j'y ai jeté un long coup d'oeil. Je serais curieux que vous m'en disiez davantage sur les raisons du choix de ce titre. Que vouliez-vous dire par "précarité"? Je vois bien, que vous lui donnez un sens en quelque sorte "existentiel". Mais pourquoi précarité était-il précisément le mot qu'il vous fallait pour l'exprimer? La "vie précaire" que votre narrateur écrit, c'est la vie de quelles sortes de personnes?
Les bars, sortir le soir, les jobs de courte durée ("Hi Masato, today, I quit my job"), les tourments amoureux, ou le rapport particulier au monde que suggère votre écriture, qu'est-ce qui, dans tout ça, fait une "vie précaire"?

J'espère ne pas trop vous donner l'impression de me jeter sur votre livre avec des préoccupations qui lui sont étrangères; c'est précisément ce que "précarité" vient faire chez vous, et ce que vous en faites, en littérature, qui m'intéresse.

Bien à vous,

Cyprien

6:46 PM  
Anonymous Anonyme said...

je ne lis votre commentaire que maintenant... février 2010 ... et il m'intéresse !
vous pouvez peut être me contacter par facebook ?

9:01 PM  

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