12.11.06

Lola Gruber

Un court roman


Ils avaient en commun d’aimer les livres, le jeune homme ‑ on pouvait encore dire jeune, à son âge, pour un homme on pouvait, quoiqu’il commençât à sentir une lassitude, qui l’envahissait parfois par bouffées abruptes, abrutissantes, et qui invalidait cet adjectif ou en annonçait la prochaine disparition ‑, et la jeune femme, elle était un peu plus jeune que lui mais la différence de leurs sexes face au passage du temps les mettait, sur cette question, à égalité.
Des livres qu’ils aimaient, ils parlaient souvent et volontiers, cela occupait une part importante de leur conversation. Mais la jeune femme, vraiment, en avait lu beaucoup, ce que le jeune homme finissait par trouver irritant. Qu’il mentionne le titre d’un seul, et aussitôt elle s’en emparait, l’accablant de commentaires, allant jusqu’à mentionner des passages qu’il avait lui-même oubliés, et il s’en trouvait alors aussi admiratif que vexé ; de cette façon, les livres qu’il aimait se mêlaient, indifférents, à ceux, tous, qu’elle avait déjà lus, cette femme qui était, par-dessus le marché, un peu plus jeune que lui, jeune encore, et belle, ça ne durerait pas éternellement.Mais lors de l’une de leurs rencontres, il évoqua un court roman découvert récemment et qu’il avait aimé. Elle le connaissait, ce livre, bien sûr ? Non, jamais entendu parler. Enfin ! s’exclama-t-il, il existait tout de même un livre qu’elle n’ait pas lu ! Dans son triomphe perçaient ses exaspérations précédentes, un éclat hostile, comme un bref coup d’aiguille...