6.7.08


Chris Simon


Voyage dans l'inconnu



Des pigeons picorent les taches plus claires sur l’asphalte noir du quai. Un monsieur annonce les Arrivées et les Départs dans les haut-parleurs qui grésillent comme une friteuse électrique. Bien calé sur ses rails, le train ressemble à une chenille endormie. Une tête couverte de points de rousseur s’incline vers nous, les pigeons trottinent fuyant l’ombre menaçante.
– Comment tu t’appelles ?
– Weber, dit ma soeur.
– Weber avec un W ?
Elle hoche la tête. Le visage se redresse et interpelle.
– Gérard, tu as des Weber ?
Gérard a le nez et la moustache de travers. Avec son index, il trace des zigzags sur une liste.
– Non, Ce n’est pas compliqué, au W, j’ai rien. Ensuite, j’ai un Zabéra. C’est tout!
Nos parents ont disparu dans la foule sous la pendule du hall de la gare Montparnasse. Gérard et la figure couverte de points de rousseur s’éloignent. Comme les pigeons picorant, qui reviennent vers nous, nous restons à quai, les mains derrière le dos, tandis qu’ils font monter wagon par wagon ceux de la liste.
– Wagon, ça commence par un W, dit ma soeur.
Elle sait lire et écrire. Elle peut même écrire son nom en entier, mais ils ne lui ont pas montré leur liste.
Nous sommes le premier août 1976. Notre grande valise écossaise sur le quai nous étonne. Il fait chaud. Le train se remplit. Ceux de la liste s’apostrophent, se poussent, crient et rient. Gérard, la monitrice aux points de rousseur et deux autres moniteurs déclament des noms en agitant les bras:
– Antommarchi, Bangoura, Buttigaz, Carvalho, Cohen, Farina, Fortune, Kehlal, Laporte, Mikalovitch, Phan….
La locomotive, en bout de quai, démarre. Les pigeons s’envolent et se posent l’un après l’autre sur les barres du toit en verre sale, tout là-haut au-dessus de nos têtes. Les yeux en l’air on ne sait plus si c’est le matin ou le soir, la saleté et les pigeons rendent tout gris.