6.7.08

Dominique Raze


Sur la route


Mademoiselle,

Avant toute chose, il me semble indispensable de me présenter. Je me nomme Georges L. J’aurai quarante-quatre ans dans deux semaines. Je suis célibataire et ne me suis même jamais marié. Non pas tant par désintérêt pour le beau sexe – quoique je ne pense pas être très doué pour les choses de l’amour – que par conviction. Aucun attachement même sincère entre deux êtres ne peut résister à la promiscuité que nous impose la bienséance conjugale. C’est un poison trop lent que l’on ingurgite jour après jour, croyant naïvement que chaque gorgée nous immunisera de la suivante, jusqu’à ce que l’on ne puisse plus que vomir sa vie par les yeux, par les lèvres et par les tripes... Pardonnez-moi... Cette lettre ne convient guère à ces digressions philosophiques. En d’autres circonstances, je l’aurais certainement recommencée, mais il est déjà tard et j’ai beaucoup d’autres choses à vous dire.
Je suis contremaître dans une petite scierie à C. où je suis né. J’ai toujours vécu ici, même après que mes parents aient migré vers le Sud, sous un climat plus adapté à leur vision de la retraite. Cette fois, il ne s’agit pas d’un égarement de ma part. Je vous en parle car c’est au retour d’un séjour chez eux que vous et moi nous sommes rencontrés. Il y a deux ans, jour pour jour. J’avais pris la route tôt, espérant ainsi échapper au plus gros de la canicule, mais nous étions nombreux à avoir eu la même idée. Petit à petit, les files de véhicules quittant le bord de mer s’étaient amassées sur la nationale, me faisant perdre mon avance sur le soleil. Il avait fallu attendre le début d’après-midi pour que les bouchons se dissipent enfin et que la nationale retrouve un rythme acceléré.
La nationale. Vous étiez là... Posée sur le bord de la route, comme une poupée dont un enfant se serait lassé.