6.7.08

Ian Wambrechtein


Une bien belle partie



« Mazette ! fit-il en entrant dans la salle de bain et en lui passant les bras autour de la taille. Est-ce parce que c’est le soir de la finale que tu t’es faite si belle ? »
Claire acheva de se faire les lèvres avant de répondre :
« Non. C’est parce que je sors. Je vais au cinéma.
— Toute seule ?
— Avec Natalie. Nous avons rendez-vous à neuf heures au Métropole.
— Et qu’allez-vous voir ?
— Un film thaïlandais, j’ai oublié le titre, il paraît que c’est très bien.
— Je n’en doute pas. » Et contre toute attente, loin de s’emporter, il se mit à lui butiner la nuque et les épaules. « Tu sens bon ! » Puis, tout en lui caressant le ventre : « Il ne te faut que cinq minutes pour te rendre au Métropole. Cela nous laisse un bon quart d’heure. »
Elle vit tout de suite clair dans son jeu.
« Tu n’y songes pas ? Et la présentation du match ? Et les hymnes ?
— Je connais la trombine de tous les joueurs. Quant aux hymnes, susurra-t-il en faisant remonter sa robe, je te les chanterai sous les draps…
— Bon, mais tu me le promets : pas plus d’un quart d’heure. »
Et pour la faire taire il lui prit la bouche, et dans ce baiser l’entraîna jusque dans la chambre obscure, puis sur le lit, sous lequel il avait caché la corde avec laquelle il la ficela malgré les coups de talons, les coups de dents, les injures et les cris. Puis, l’ayant bâillonnée, il la porta dans le salon où il l’installa sur une chaise, bien en face de la télé.
« Comme ça, tu seras aux premières loges ! »
Mais, lui voyant des larmes dans les yeux :
« Pardon, dit-il, je ne me moquerai plus, c’est promis. Aussi bien, cela n’a rien de drôle, au contraire ! Ligoter sa petite femme chérie, jamais je n’aurais pensé en venir à de telles extrémités ! Mais aussi, avoue que tu l’as bien cherché, avec cette manie de sortir du salon pour téléphoner, aller aux toilettes, ou pour je ne sais quelle autre raison, juste aux moments les plus palpitants, comme jeudi, pendant la séance des tirs au but. En admettant que tu aies eu sommeil, est-ce que tu ne pouvais vraiment pas attendre cinq minutes ? D’autant que tu sais bien que dans ces moments-là j’aime te tenir la main, sentir ta présence... Et ce soir encore, quel coup pendable : aller au cinéma le soir de la finale ! Cela dit, finale ou pas, cela ne change rien : un match, ça ne se regarde pas seul, ça se partage, de préférence avec la personne qu’on aime… Et puis, je ne sais pas si tu as remarqué, tu portes chance. Je sais bien que c’est bête, mais c’est un fait : quand tu es là, tout va bien, mais dès que tu t’éclipses, ou tournes seulement le dos, l’ennemi reprend du poil de la bête, contre-attaque, parfois même en profite pour marquer, rappelle-toi le quart de finale. Aussi, je suis sûre que ce soir nous allons gagner… »