5.7.08

Iris Baty

De l'art de se mettre en ménage


Six mois que tu fais le ménage chez B. Le premier jour, tu as senti que ton arrivée perturbait l’ordre établi. B. est resté debout dans l’entrée, silencieux. Rapidement tu as fait le tour du propriétaire. Tu t’es attardée sur les affiches de Shakespeare, Ionesco et Beckett qui mettaient un peu de vie dans cet environnement austère. Tu as enregistré mentalement tous les détails, les recoins, les rangements, les produits présents et ceux manquants. Pas trop de travail en somme… Cela te laisserait du temps pour d’autres clients et surtout pour tes études. Très vite, tu as pris plaisir à travailler chez lui : il était avenant et ne se gênait pas devant toi.
Petit à petit, tu as pris tes aises. Tu t’es mise à feuilleter des textes dans sa bibliothèque lorsqu’il s’absentait. Tu lisais quelques pages chaque semaine. Des récits de vie sous forme de pièces de théâtre. C’est ce que tu préférais. Des gens qui s’expriment un peu comme toi, racontant des histoires qui te touchent. Cela parlait aussi de passion et tu te sentais justement prête à en éprouver pour quelqu’un.
Quelques semaines plus tard, tu arrives pour nettoyer la chambre ou plutôt pour lire et, au pied de la bibliothèque, entre les paires de chaussures sombres de ton employeur, tu découvres une chose inhabituelle : une fine paire de chaussures blanches à talons, d’une finition exquise. Tu n’en as jamais vu d’aussi belles. Elles viennent d’Italie. Dans l’appartement, flotte un parfum de femme et de pain grillé. Tu restes un temps surprise puis regardes de nouveau les chaussures. Une femme est venue dans cette chambre et a dormi là. Qui est-elle ? Depuis combien de temps se voient-ils ? Tu te lèves et retournes les draps du lit. Elle a dormi ici, c’est sûr, et toi, toi, tu nettoies derrière elle. Chaque grain de poussière que tu essuies tombe du pied de cette femme. Tu jettes tous les draps par terre et décides de les laver. Tu termines ton travail tant bien que mal, prends l’argent et dévales les escaliers en te jurant de ne jamais revenir.