6.7.08

Isabelle Renaud

La poupée


Hélène regarda sa fille avec effroi. — Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?
— Poupée ! dit Jasmine.
— Où as-tu trouvé ça ?
La petite pointa l’index en direction du placard entrouvert de la chambre.
— Fais voir.
Hélène saisit la chose du bout des doigts. En matière de poupée, elle n’avait jamais vu un truc aussi répugnant. Cette créature devait dater des années 50, on n’en faisait plus des comme ça. Ses joues saillaient sous une petite bouche en cul de poule, replètes et basses comme celles d’un rongeur. Ses grands yeux bleus, dont l’un ne s’ouvrait qu’à demi, lui donnaient un air fourbe. D’autant que l’œil en berne était barré d’un épais faux-cil, collé à l’iris comme avec de la glu. Des bandeaux de cheveux blonds pendaient autour du front, mais l’arrière du crâne était nu, piqueté de petits trous. Une longue mèche venue du devant lacérait piteusement l’ensemble. Enfin, la poupée portait une robe de tulle couleur parme, d’une coupe très sophistiquée, mais elle était cul-de-jatte.
— Les anciens locataires ont dû profiter du déménagement pour l’abandonner, dit Hélène. Tu parles d’une occase.
Elle renifla la Chose.
— Dis donc, qu’est-ce que ça pue. Tu es sûre que tu veux la garder ?
— A moi ! A moi ! s’écria Jasmine, en tendant les deux mains vers son bien.
Hélène regarda sa fille trottiner vers la chambre, sa trouvaille sous le bras. Elle n’était pas d’humeur à sévir. Plutôt euphorique, et débordée. Le camion des déménageurs était arrivé ce matin, et presque tous les cartons restaient à déballer. Elle reprit son cutter, ses ciseaux, recommença son travail d’éventrage.