5.7.08

Jorge Edwards

Traduit de l'espagnol ( Chili ) par Melina Cariz

L'ombre de Huelquiñur


Je commence depuis la littérature. Depuis l’écriture d’un roman. Ce récit est l’histoire d’un roman imaginaire et de sa lecture, destruction et mémoire également imaginaires. C’est, au passage, un hommage à William Faulkner, une reconnaissance tardive. Tout est raconté depuis la perspective de ces années-ci, et passées, par conséquent, par les tamis de la crise politique et du pinochétisme. La grand-mère est un général moustachu, aux yeux toujours aveuglés par le soleil, et qui a de sérieuses appréhensions et soupçons envers Juan José, l’intellectuel de la famille. Qu’a fait Juan José dans la vie, quel parti a-t-il pris ? Sa conduite postérieure a-t-elle ou non justifié cette méfiance des origines ? Nous soupçonnons que c’était une réserve justifiée depuis le point de vue de l’ancienne et puissante dame, depuis la perspective de l’ordre social établi, mais nous n’en savons pas beaucoup plus. Le bras armé et dissimulé de ces craintes, c’était l’oncle Ildefonso, un parfait hypocrite, et un semblable ? J’avertis, au passage, que toute ressemblance de celui-ci ou d’autres personnages de ce récit avec des personnes de la vie réelle est pure coïncidence. Quant à Bijou ou Viyú, pour qui je ressens encore de la tendresse, même si je n’ai jamais eu le privilège de la connaître dans la soi-disant vie réelle, elle se dissout dans la douceur de l’instant. Et Huelquiñur est une ombre mapuche. Ce n’est pas une ombre suscitée par la circonstance du Cinquième centenaire, comme un lecteur ami et distrait m’a dit : c’est une ombre qui appartient au territoire de l’expérience possible, à la mémoire fictive, et qui a pu exister dans le roman imaginaire. Une ombre de Yoknapatawpha, le Comté inventé par William Faulkner pour son usage personnel, dans les terres rocailleuses de la Rinconada de Cato.