6.7.08

Michèle Baczynsky


Jack


Jack Fayerman (prononcez Djack ) était fonctionnaire au Mont- de -Piété dans le service des Ventes Publiques. C'était un homme de taille moyenne avec sur le visage l'expression d'un étonnement permanent.
Chaque vendredi, il terminait son travail plus tôt mais avant de partir, il rangeait ses dossiers sur son bureau de telle sorte qu'il puisse les retrouver à leur place à son retour, le lundi matin.
Comme chaque vendredi aussi, il allait dîner chez sa mère Mais ce jour-là, avant ça, il irait chez le Docteur Horowitz pour un banal problème d'allergie au bras.
Il regarda sa montre. Il était 15h45. Il lui restait encore quinze minutes pour ranger son bureau .Par mégarde, il esquissa un brusque mouvement et renversa la boîte de trombones par terre. Jack s'abaissa pour les ramasser mais en se relevant, il se cogna encore la tempe contre le coin du bureau basculant ainsi une partie des dossiers par terre. La douleur le fit presque hurler mais pas un mot ne sortit de sa bouche. Il se frotta vigoureusement la tempe et lorsque la douleur s'atténua, il ramassa et remit dans l'ordre toutes les feuilles éparpillées. Il quitta son bureau vers 16h30 et s'engouffra à toute vitesse dans le métro. Pour pouvoir monter dans la rame,il dût pousser une femme et marcha sur le pied d'un septuagénaire par la même occasion. L'homme grimaça. "Excusez -moi.je ne l'ai pas fait exprès", s'empressa de dire Jack. A 17h15, il arriva chez le Docteur Horowitz qui le reçut tout de suite dans son cabinet.

"Bonjour, Monsieur Fayerman. Comme d'habitude, vous êtes toujours à l'heure. Ce n'est pas comme certains patients".
"C'est plutôt vous qui êtes ponctuel, Docteur Horowitz. Ce n'est pas comme certains médecins" répliqua Jack en souriant mais ce sourire lui en coûta. La douleur à la tempe se réveilla.
"Vous avez mal quelque part ? lui demanda le Docteur Horowitz.
"En fait, j'étais venu pour une petite allergie au bras, mais en ce moment, c'est à la tempe que j'ai mal. Je me suis tout à l'heure cogné contre le coin de mon bureau".
"Vous vous êtes cogné ? Montrez moi ça".
"Oui, en ramassant la boîte de trombones que j'avais faite tomber par terre. Je me suis abaissé pour les ramasser . En me relevant, j'ai heurté la tête contre le coin du bureau et une partie des dossiers sont à leur tour tombés par terre. Mais pourquoi est ce que je vous raconte tout cela?"
"Ah, shlemil !" s'exclama le docteur.
"Pardon ?"
"Vous êtes un shlemil. Vous savez quand même ce qu'est un shlemil, n'est-ce pas ?"