Je n'étais pas venu la revoir à l'hôpital depuis plusieurs semaines, depuis le début de l'hiver. Une période qui a la fâcheuse tendance à ralentir la vie en général ; les silhouettes se voûtent, auréolées de la clarté du soleil couchant pour rejoindre leur foyer et leur famille. Alors qu'ils accrochent leur manteau couvert de traces de neiges, des gamins les accueillent, le visage ouvert d'un sourire.
Les lumières des demeures créent des zones de ténèbres sur le chemin qui mène à l'établissement hospitalier, je me fonds dans les ombres, longe les murs comme un voleur. Parfois, je m'attarde à hauteur de l'une des fenêtres et j'observe ces existences que je leur envie avec une force qui m'étonne moi-même, une existence qui m'a été volée. La tiédeur qui traverse ces fenêtres me brûle les yeux et le cœur. J'entends encore le bruit des flammes, le bruit des charpentes qui craquent, la fumée âcre qui nous étouffe, moi et mon épouse.
C'est en hiver que les familles se calfeutrent dans leur maison, que chacun recherche la chaleur de leur proche pour ne devoir s'en écarter avec regret qu'au matin du jour suivant.
Je n'aime pas l'hiver, mais c'est une saison à laquelle mon être est attaché par le désespoir.
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De temps en temps, je me réfugie dans une chambre vide du dernier étage de l'hôpital. Il arrive que des infirmières ou des médecins s'y retirent, éreintés par une nuit chargée de cris, de bruits, de blessures et de pleurs. Dés lors, je ne peux m'empêcher de rester sur le pas de la porte. Durant ces quelques moments, afin de ne pas les éveiller, je m'assure qu'ils ne manquent de rien : je redresse une couverture qui a glissé, je ferme les rideaux. Cette attention peut paraître déplacée, mais je n'oublie pas que ce sont eux, ces médecins et ces infirmières qui veillent ma femme au niveau inférieur. Je m'attache donc à leur apporter un minimum de quiétude en cours de ces heures tardives, car s'ils ne le l'évoquent pas, ils ont tout de même besoin de cette forme de reconnaissance et de soutien.
Parfois, la personne endormie s'agite dans son sommeil, dans ce cas, je me dirige sans bruit vers la sortie. C'est généralement l'instant pour quitter la pièce et rejoindre mon épouse.
J'appréhende toujours cet instant, non parce que le fait de croiser un surveillant pourrait m'empêcher de la revoir, mais la chaleur des lieux, le toussotement des malades me rappelle trop de souvenirs difficiles. Je me rassure en me disant qu'ils étaient plus nombreux lors de la nuit de l'accident. Des dizaines de blessés couchés sur le sol gémissaient, tendaient des mains brûlées par l'incendie, implorant à qui voulaient l'entendre de faire cesser les souffrances. J'étais au milieu des estropiés, ne sachant où regarder et où mettre les pieds de crainte de gêner ou blesser quelqu'un. Perdu comme un enfant, je découvris que j’étais loin de ma femme.